Il y a 70 ans, le 35e RALP par Marcel HIREL, appelé de la 47/02


I – PREMIERS CONTACTS

Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1947, après un long voyage en raison de la grève des cheminots, débarque en gare de Tarbes un fort contingent de Bretons et de Normands affectés, selon le libellé de leur ordre d’appel sous les drapeaux, au « 35e RÉGIMENT D’ARTILLERIE AÉROPORTÉE ».

Après avoir été pris en charge par un comité d’accueil, comme Dervaux quelques mois plus tôt, c’est à pied et valise à la main que nous empruntons l’avenue Bertrand Barrère pour aboutir dans notre future résidence : le quartier Larrey, après avoir traversé la place de Verdun, puis les allées Larrey, sans oublier de saluer la statue du Maréchal Foch.

A l’arrivée, nos « cornacs » nous scindent en plusieurs groupes avant de nous conduire dans nos chambres. La mienne est située au deuxième étage, au milieu du grand bâtiment donnant sur la cour principale. Dans un coin sont entassés quelques matelas mais il n’y a pas de lit. Qu’à cela ne tienne nous les étalons sur le plancher et nous nous allongeons tout habillés pour passer le reste de la nuit.

Pendant que nous procédions à cette installation sommaire, trois « volontaires désignés d’office » sont descendus aux cuisines et reviennent avec du café chaud, du pain et du chocolat. Chacun exprime sa satisfaction mais une surprise nous attend au réveil. Quelques téméraires réclament le petit déjeuner. Réponse : « Le petit déjeuner vous l’avez eu à votre arrivée ». Il faut faire des économies après les libations de la Sainte Barbe.

La première journée des jeunes recrues est rythmée par les différentes sonneries d’une trompette. « Connaissez-vous la putain de Nancy, etc ». Réveil.

Nous pouvons contempler par les fenêtres soit la cour centrale qui donne sur les allées Larrey, soit la chaîne enneigée des Pyrénées avec son pic du Midi de Bigorre. D’un côté un regard nostalgique, de l’autre un spectacle magnifique.

Était-ce « ta femme t’a fait cocu brigadier » ou « Maréchal des logis tu n’es pas dégourdi… ? » Peu importe. Rassemblement présidé par l’adjudant Desrich. Dans un premier temps on compte, les nouveaux arrivants pour l’effectif du repas de midi, et dans un deuxième nous nous dirigeons vers un hangar pour y récupérer des châlits en bois style camp de prisonniers. Nous allons meubler la chambre.

Malheureusement les lattes en bois servant de sommier ont disparu dans les poêles. Pour les remplacer, une équipe revient avec des brassées de planches. A l’aide de scies égoïnes nous confectionnons ce qui doit supporter les matelas, mais attention il faut être économe : « Pas plus de trois par tête de pipe, une à la tête, une au milieu et une aux pieds », hurle le chef. Nous avons intérêt à choisir les plus larges. Des petits malins ont découvert les combles et y arrachent quelques lames de parquet pour compléter leur lot. Dans l’opération, un maladroit met le pied entre les poutres et passe à travers le plafond, « explication des gravures », selon l’expression consacrée.

« C’est pas de la soupe c’est du rata… », sonne le trompette. Après le deuxième rassemblement, on nous distribue, quart, gamelle, cuillère, fourchette, avant de nous rendre au réfectoire. Au menu, nous avons droit à de la purée accompagnée d’un cube de viande pas très gros mais très nerveux. On goûte la purée du bout des lèvres. Ce n’est pas mauvais. Au bout de cinq minutes la plupart d’entre nous remontent dans la chambre en emportant le morceau de pain, le quart de vin et le dessert.

Pour les non initiés il faut dire qu’en 1947, et jusqu’au début 1949, le pain était encore rationné à l’aide de tickets. En prévision des jours difficiles, nos valises étaient bourrées de victuailles et, grâce à ce stock, nous pouvions tenir le coup au moins 48 heures avant d’apprécier les pois chiches, les pois cassés, les « fayots » et autres féculents.

Pendant ces deux jours, le récupérateur des «eaux grasses» en a eu pour son argent et les cochons qui batifolaient dans le champ derrière le quartier ne savaient pas qu’ils allaient payer, un jour, ce supplément.

L’après-midi, nous continuons le montage des lits et percevons au magasin, un polochon, deux couvertures et un sac de couchage. Bien avant la dernière sonnerie « l’extinction des feux », nous « coinçons la bulle ».

Ceux qui ont hérité du rez-de-chaussée sont inquiets : « Pourvu que les planches du premier étage tiennent le coup ? »

II – L’INCORPORATION

« Arrivée au corps le 6 décembre 1947 et affecté au 35e REGIMENT D’ARTILLERIE LEGERE PARACHUTISTE – TROISIEME BATTERIE, CLASSE 2e CST », indique mon livret individuel.

Cette mention très administrative signifie que nous avons subi les différentes opérations dites d’incorporation et que nous sommes devenus des Canonniers-Servants-Tireurs (CST).

Depuis la création du régiment, je suis le 1217e à me présenter au service des effectifs devant le « Dervaux» de l’époque — c’était peut-être déjà lui — pour fournir une quantité de renseignements qu’il inscrit méticuleusement sur un grand registre. Dernière question : « Etes-vous volontaire pour sauter en parachute ? » Pour la majorité les réponses sont évasives. Même scénario avec le maréchal des logis Bridel, chef comptable de la troisième batterie, afin qu’il puisse nous payer le « prêt » en fin de quinzaine et distribuer la ration réglementaire de tabac et de cigarettes.

Pour vérifier que nous n’avons pas de maladies honteuses et que nous sommes aptes au service, nous passons à l’infirmerie. Comme il n’y a qu’un médecin-chef, assisté d’un aspirant, la visite est brève mais le débit est assez lent. Pendant l’attente quelques anciens, baptisés infirmiers à cause de leur blouse, qui avait été blanche, nous passent sous la toise, sur la bascule et mesurent notre acuité visuelle. Certains jouent aux illettrés et se font rappeler à l’ordre car, avec la taille, ce sont les deux renseignements qui figurent officiellement sur notre livret individuel.

Dernier morceau de bravoure : l’habillement. Nous nous présentons au magasin par groupe de dix pour y percevoir ce qu’on appelle le paquetage. Inutile de revenir sur sa composition mais par rapport à celui qui est distribué actuellement, il est plutôt réduit, juste le nécessaire pour transformer un « civil » en « petit soldat ». Quatre éléments bien particuliers sont à retenir : le bourgeron blanc semblable à celui utilisé par nos grands-pères pour le pansage des chevaux (revoir les gaîtés de l’escadron), le calot kaki en attendant le béret bleu, la longue capote dont on peut relever les pans au cours des marches et le bidon de deux litres, style 14-18, indispensable pour arroser les escaliers avant le balayage.

J’ai gardé pour la fin la paire de chaussures. Chacun peut choisir deux «chaussettes à clous» dans un tas et passer à l’essayage pour trouver son bonheur. Au bout d’un certain temps le stock est épuisé. Quelques vernis reçoivent en échange une paire de sabots galoches réservés habituellement aux cuisiniers ; les derniers conservent leurs chaussures civiles avec les conséquences que nous décrivons un peu plus loin. Comme dans la chambre il n’y a pas d’armoire, le dit paquetage reste au pied du châlit dans le sac marin qui a servi au transport.

Le lendemain nous remplaçons le costume civil par un beau treillis que n’aurait pas renié Arlequin en raison des pièces multiples.

Vu le nombre de recrues, les opérations décrites ci-dessus ont duré quatre ou cinq jours. Pendant cette période, il ne faut pas nous laisser inactifs, l’oisiveté étant mère de tous les vices.

En dehors de quelques exercices pour nous apprendre à marcher au pas, il y a bien sûr les travaux d’intérêt général baptisés « corvées ». La plus délicate est celle « des chiottes ». Elle est réservée aux récalcitrants ou « tire au cul », repérés par le service de semaine, et consiste à remplacer par des bidons vides les « tinettes » pleines qui seront ramassées par un vidangeur. Je vous fais grâce de l’odeur et du spectacle.

Après le repas, nous avons droit à la corvée de « pluches ». Les machines sont remplacées par les couteaux individuels. Le brigadier d’ordinaire a beau s’égosiller : « pas de grosses pluches, sinon vous n’aurez pas grand chose dans la gamelle », peine perdue, Catherine (c’est son nom) continue de fabriquer des pommes noisettes avec des pommes de terre grosses comme le poing.

Le gros chantier qui nous occupe pendant des heures consiste à aplanir un terrain vague servant de décharge, situé devant le deuxième grand bâtiment, derrière les anciennes écuries. Comme il n’y a pas suffisamment d’outils, nous manions à tour de rôle pelles, pioches et brouettes. En plein hiver le chantier devient rapidement un bourbier et le malheureux qui n’a pas été doté de « chaussettes à clous » ou de sabots peut dire adieu à sa belle paire de chaussures imitation daim.

III – LES CLASSES

Tous les occupants de la chambre ont été incorporés. Nous sommes cinquante-six au total, plus un brigadier et un « faisant-fonction ». Une ère nouvelle commence et va durer environ cinq semaines. Elle démarre en fanfare.

Quelques minutes après la sonnerie du réveil, au lieu du rituel «debout la d’dans», nous entendons un tonitruant «ouvrez les fenêtres». Ceux qui ont un oeil ouvert peuvent entrevoir une paire de deux galons se précipiter sur une croisée et l’ouvrir pour aérer notre «bauge». Vu le nombre d’individus, plus un poêle qui fume, l’atmosphère est irrespirable pour un non résident. Par la suite nous avons appris que le perturbateur était le lieutenant Leduc.

Après le traditionnel rassemblement, nous sommes scindés en deux groupes. Le mien est pris en charge par le « faisant-fonction » ou « F.F. Brigadier » car il n’a rien sur la manche de son blouson. Sa mission consiste à nous inculquer les rudiments classiques de la formation dite de base : manœuvres à pied, salut, grades et règlements divers. Cette dernière partie est vite expédiée grâce à la formule suivante : « Le règlement est une putain que chacun baise à sa manière ». La pédagogie est simple. Elle est basée sur la répétition, ce qui demande un certain temps, comme le disait Fernand Reynaud. Tout se passe en plein air dans la cour centrale ou, s’il pleut, dans les anciennes écuries. N’oublions pas que nous sommes en hiver. Dieu merci, cette année il est clément et nous avons la longue capote pour nous protéger des courants d’air.

Mais qui est notre instructeur ? Nous n’allons pas tarder à le savoir. Un jour, réunis en cercle autour de lui comme d’habitude, nous sommes sortis de notre somnolence par un «garde à vous» intempestif et nous entendons une voix un peu cassée dire :

« Amat, où sont tes galons ? »,

« Dans mon paquetage, mon commandant »,

« Si demain tu ne les portes pas, tu auras quinze jours de prison »,

« Bien, mon commandant ».

C’est ainsi que nous avons fait la connaissance du chef d’escadron Bouyneau, commandant en second du régiment et nouveau breveté parachutiste à 44 ans. Nous avons appris en même temps que notre « éducateur » était un ancien brigadier-chef rétrogradé au rang de brigadier par mesure disciplinaire. En représailles, il ne voulait plus porter les signes distinctifs de son grade.

Au cours de ce cycle préliminaire nous avons droit à des séances de démontage et de remontage du MAS 36 à crosse en aluminium et repliable. Le brigadier Amat passe beaucoup de temps à nous expliquer son fonctionnement. Il nous présente également un de nos futurs matériels, le 75 Mle 97 qui a eu son heure de gloire pendant la guerre 14-18. Il faut noter, cependant, que depuis, ce canon a été amélioré : il n’est pas parachutable, mais les roues en bois ont été remplacées par des pneumatiques.

Le rassemblement du peloton de pièce fait l’objet d’exercices répétés avec demi-tour pour retrouver le nom du servant en fonction de la place occupée.

Nous n’avons pas encore le droit de sortir en ville. D’ailleurs avec les « piqûres » TABDT nous sommes consignés tous les « week-ends ». Pourtant Noël et le Jour de l’An approchent. Peut-être que pour fêter l’un ou l’autre de ces événements les portes du quartier nous seront-elles ouvertes ?

Amat, bien renseigné, nous le confirme en nous conduisant au cinéma : « quand on voit le film, la première sortie est proche ». Effectivement la tradition veut qu’avant de lâcher les fauves il faut les informer sur les maladies vénériennes. Quelles belles images de chancres avec commentaires !
Ultimes recommandations de notre brigadier :

Saluer tous les gradés (nous saluerons même les trompettes qui portent un passant sur l’épaule, marque de leur spécialité),

Pas de main dans les poches,

Attention à la patrouille en ville,

Ne pas sortir de la garnison.

Ce dernier point nous laisse perplexes. Nous avons projeté de nous rendre à Lourdes. Nous risquons le paquet. Pas de problème pour l’aller. Très décontractés nous visitons la ville, la basilique et la grotte. Les pèlerins trouvent que nous sommes bien habillés avec nos « chaussettes à clous », la longue capote et surtout le béret bleu nouvellement perçu. C’est l’heure du retour. Comment éviter la patrouille qui sera sûrement à la gare ? Sur les conseils d’un régional nous prenons un billet pour Juillan.

« Vous êtes en manœuvre dans le coin ? », nous demande le guichetier.

« Oui, oui ». Bien entendu nous n’avons rencontré personne, mais nous nous sommes «payés» six kilomètres à pied. Le lendemain nous reprenons nos activités sans nous vanter de notre escapade mais gonflés à bloc.

IV – LE PELOTON D’ÉLÈVES BRIGADIERS

Quinze jours encore à rabâcher ce que nous commençons à savoir sur le bout des doigts. Enfin, au rassemblement du 14 janvier 1948 (livret individuel) l’adjudant Desrich donne la liste de ceux qui sont admis au peloton d’élèves brigadiers. Au revoir capitaine Toulouse, lieutenant Leduc, maréchal des logis-chef Bridel, brigadier Amat et les autres.

Nous déménagerons dans l’aile est de notre bâtiment, au-dessus de l’atelier du maître bottier. Y a déjà du changement. Nous avons droit à des lits métalliques superposés avec un vrai sommier à lames, une armoire pour ranger le paquetage, une table et des tabourets, un pour deux.

Avec les EVDA (engagés volontaires par devancement d’appel), les engagés, les retardataires nous sommes environ une centaine sur la photo souvenir et encore certains, comme Bauchet, n’y figurent pas.

Affectés désormais à la Batterie de Commandement (BC) nous aurons comme souci majeur d’éviter le capitaine Faucher surnommé « ZIZI, le roi de la boule à zéro ».

Notre encadrement s’est amélioré en quantité et en qualité. Il est vrai que, jusqu’à présent, nous n’avions connu que le brigadier Amat. Dorénavant nous aurons un officier comme chef de peloton. En réalité trois se succéderont. Le premier est le sous-lieutenant Bredèche arrivé au 35 en même temps que nous, venant de l’Ecole d’Application de l’Artillerie d’Idar Oberstein. Nous sentons qu’il a la classe et nous ne nous trompons pas puisqu’il terminera sa carrière comme général de corps d’armée après avoir commandé la 9e DIMa.

Volontaire pour l’Indochine avec le lieutenant de Bénazé, le sous-lieutenant Bredèche cédera sa place au lieutenant O’Sullivan. Celui-ci a sûrement du sang irlandais dans les veines, il est très décontracté. En mission ou en stage, le sous-lieutenant Creux, futur chef de corps du 35, assurera l’intérim. Avec lui, changement de rythme. Il nous mène à la baguette et il y aura quelques grincements de dents. Malgré tout, c’est avec plaisir que nous l’avons revu le 12 septembre 1992 à Chambray dans l’Eure où la 47/2 a fêté dignement ses retrouvailles, 45 ans après son affectation au 35.

Nous sommes répartis sur « PIÈCE » pour respecter la terminologie des artilleurs. Chaque pièce est composée d’une vingtaine d’individus avec à sa tête un maréchal des logis (MDL). Le nôtre s’appelle Rombaud. Il a été formé à l’école des cadres de Langenargen en Allemagne. C’est un grand maigre doté d’un solide appétit, à tel point que nous l’avons surnommé le « morphale des orgies ». Sa voix grave qui semble sortie d’outre-tombe est celle d’un vrai pédagogue. A la fin de son contrat il retournera dans le Nord, sa région d’origine, comme instituteur.

Avec la pièce du maréchal des logis Dauverchain, nous formons une section pour les déplacements et certains exercices. Ce sous-officier est également un excellent instructeur. Très « smart », il s’exprime avec clarté et distinction, à tel point qu’au début nous avons cru que son nom s’écrivait « d’Overchain » et nous étions prêts à l’appeler Monsieur le Comte.

Inutile d’épiloguer sur les matières à ingurgiter. Le programme est classique et pour nous aider nous avons quelques manuels dits du « gradé d’Artillerie ».

Le gros morceau est effectivement l’Artillerie. Cela nous prend beaucoup de temps puisque nous avons deux matériels à étudier, le 75/97 déjà cité et le 75 M1 A 1, à l’origine petit canon démontable américain. Pour l’heure il faut le rendre parachutable et apte au tir. L’expérimentation fait l’objet d’exercices et de démonstrations répétées. Ce n’est pas encore tout à fait au point mais cela viendra.

Quant au 75/97, qui n’est pas parachutable bien sûr, il sert surtout aux écoles à feu en raison du stock important de munitions à résorber.

Est-ce que le col de cygne, la culasse à vis, plateau 14, tambour 100, la fourchette du bloc de percussion si difficile à remettre en place vous rappellent de quel matériel il s’agit ?

Pour mémoire il faut citer le 57 anti-char qui équipe la batterie du même nom et le 20 Flak allemand de la batterie antiaérienne. Ces deux canons nous seront simplement présentés.

Théoriquement, à la fin du peloton, nous devons être aptes à remplir toutes les fonctions, en particulier celle de pointeur.

L’école de batterie dans la cour du quartier est la consécration de notre savoir. Invariablement elle commence par une séance : concours de démontage et remontage du 75 M1 A1. C’est le sous-lieutenant Bredèche qui dirige en personne les opérations. Un jour il a voulu nous faire une description du goniomètre boussole (GB) dont il se servait pour la mise en direction des pièces. Avec son style caractéristique, il nous a noyé dans un flot d’explications et nous n’avons rien compris. Il faut dire que nous étions plus d’une trentaine autour du malheureux GB.

Autre grande occupation, le tir. Nous commençons par le tir réduit au petit stand installé près de l’infirmerie. C’est comme à la foire du Trône. Nous sommes ravis d’utiliser les carabines Mauser de 5,5 mm. La balle fait un joli petit trou dans la cible mais sa puissance d’arrêt est pratiquement nulle. Pourtant à cinquante mètres, elle est capable de tuer un cochon. Ceux qui batifolaient au premier chapitre l’ont appris à leurs dépens. Bauchet en bon élève qu’il était a voulu vérifier l’efficacité de la dite carabine. Je lui laisse le soin de raconter sa mésaventure qui a mis en émoi tout le quartier et désigné comme premier coupable le capitaine Faucher, adepte du tir tous azimuts de préférence avec un colt.

Après quelques séances de tir réduit nous passons à la pointure au-dessus, au stand de l’Echez situé à deux ou trois kilomètres du quartier. Nous passons toute la matinée sur le terrain pour tirer cinq cartouches avec de médiocres résultats car le MAS 36 à crosse repliable est vraiment un fusil à tirer dans les coins. Le lieutenant O’Sullivan n’apprécie pas.

Cela ne nous empêche pas de chanter tout le long du trajet, à l’aller et au retour « Mon père était parachutiste » ; c’est une chanson traditionnelle où il est question de poils un peu partout. Le maréchal des logis Dauverchain s’est fait un plaisir de nous l’apprendre.

La rumeur circule que des tarbaises, sans doute, ont adressé une pétition au chef de corps pour faire cesser ce chant jugé obscène. Nous n’avons jamais su quelle avait été la réponse du lieutenant-colonel Mengus. Le chant a continué de plus belle en haussant le ton pour bien préciser les endroits où se trouvaient les poils.

A l’issue de ces sorties, il y a bien sûr le nettoyage et la revue d’armes. Quand ce sont les chefs de pièce qui la passent, tout va bien. Par contre, pendant son intérim, nous avons eu droit au sous-lieutenant Creux. Bonjour les dégâts. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il la passait avec des gants blancs comme à Coëtquidan, mais c’était la distribution gratuite de jours de consigne (non inscrits sur le relevé de punition).

Pour mettre un peu d’ambiance de temps en temps nous avons la visite du capitaine Faucher. C’est l’alerte générale et la débandade par le deuxième escalier dès que nous entendons sa voix au rez-de-chaussée. Pourtant, un jour, il nous surprend dans la chambre en train de ranger nos affaires. « Fixe », crie je ne sais qui. Le brave Letourneux croyant à une blague continue, le nez dans son armoire. Mal lui en prit. Le ciel ne lui est pas tombé sur la tête mais une engueulade où le terme « boule à zéro » revenait plusieurs fois.

Bien que le peloton ne soit pas terminé, le 23 février 1948 (dixit la plaquette) nous sommes jugés dignes d’être présentés à l’étendard du régiment et de recevoir la fourragère aux couleurs de la Médaille Militaire. Nous avons déjà acheté le nouvel insigne du 35 au foyer.

A propos de cet insigne, certains font remarquer que la cravate est plus grosse que l’hermine. Allez savoir pourquoi ? Autre remarque.

Contrairement aux séries suivantes, il n’y a pas d’inscription « DROIT DEVANT » sur les canons.

« Tout le régiment est rassemblé dans la cour. Comme le but du cérémonial militaire est de donner, etc», dit le règlement que nous savons par cœur, la cérémonie est grandiose :
— Revue des troupes à grandes enjambées par le lieutenant-colonel Mengus, suivi du chef d’escadron Bouyneau qui ne veut pas se laisser distancer,
— Bref laïus « Mes garçons… Saint Gond – La Malmaison…»
— Défilé au son de la clique du maréchal des logis Delaporte qui reçoit automatiquement une engueulade parce que les trompettes font des « couacs ». Repas amélioré et quartier libre.

V – LE STAGE DE SAUT

Petit à petit nous nous acheminons vers le stage de saut. Pour nous mettre dans l’ambiance, nous avons droit à un largage des cadres et de la 47/1 dans la plaine d’Ibos baptisée « DZ des chefs d’escadron» en raison de la souplesse du terrain après les premiers labours.

Nous nous payons bien sûr le trajet aller-retour à pied mais nous sommes bien entraînés. Dès le début du peloton, nous avons été pris en main par l’adjudant-chef Malboeuf : pompes — tractions à la barre fixe — flexions sur les jambes — montée à la corde fixée à un platane de la cour. Invariablement nous terminons la séance par un footing de quatre à cinq kilomètres. Il faut préciser que l’adjudant-chef Malboeuf au thorax bien développé et aux mollets musclés est l’entraîneur de l’équipe de cross du régiment. On ne connaît pas ses raisons mais il n’est pas encore breveté. Cela viendra plus tard. Bien entendu, seuls les volontaires et ceux qui ont réussi aux tests participeront au stage. Cette fois ce n’est plus la question rituelle, pour les statistiques, posée lors de l’incorporation. Il faut prendre une décision sans en référer à la famille pour ne pas l’effrayer.

Pour nous mettre à l’aise les « anciens » nous racontent des histoires de parachute en torche, de leurs exploits pour arriver le premier au sol, du saut de la mort qui consiste à tirer sur les suspentes pour prendre le bord d’attaque du parachute avec les dents. Heureusement un patron énergique a mis fin à ces pratiques pour la sécurité de tous.

Des volontaires, il y en eut, puisque pour la première fois toute une promotion (la 19e) est composée uniquement de personnels du 35. Des cadres encore non brevetés se joignent à nous : le sous-lieutenant Bureau, l’adjudant-chef Bontemps, chef du secrétariat du chef de corps, et notre maréchal des logis Rombaud. Le capitaine Moulin, avec comme adjoint le lieutenant O’Sullivan, commande le détachement. Tous les cadres du peloton nous accompagnent.

Combien sommes-nous? Il y a au moins dix « sticks » de quinze élèves. Faîtes le compte. Notre moniteur est l’adjudant-chef Lemen, un cavalier. Nous sommes pleins d’admiration pour ces moniteurs qui sautent en commandé. Le stage va durer un mois, du 10 mars au 13 avril 1948 (livret individuel), pour nous apprendre à sortir correctement du JU 52 allemand, se positionner pour faire un beau roulé-boulé à l’arrivée au sol, s’équiper du parachute américain semblable à celui utilisé à Sainte Mère l’Église — les voilures commencent à avoir pas mal de rustines. La tour de saut n’existe pas encore.

Pour nous distraire un tournoi de ballon militaire est organisé entre les sticks. Avec Chapat nous sommes irrésistibles : premier stick champion. Autre occupation, la garde à l’entrée du camp baptisé « Nieuport ». Sentinelle pour la première fois, il faut être attentif. Ce jour-là l’adjudant Valentin, le célèbre « homme oiseau » lorsqu’il aura quitté le service actif, s’attaque au record du monde de chute libre sans inhalateur. Il y a beaucoup de spectateurs qui regardent l’avion s’élever dans le ciel en faisant de grands cercles. « II va sauter », annonce la radio. Ceux qui n’ont pas de jumelles écarquillent les yeux. Je fais comme tout le monde, ce qui me vaut un gros coup de poing sur mon casque de la part du lieutenant O’Sullivan pour me rappeler ma mission : surveiller l’entrée du camp et non le chuteur. « II a sauté ». Tout le monde se précipite vers le point de chute présumé. Record battu. Ouf !!! Retour au calme pour le camp et sa garde.

Le 24 mars (réf. : carnet de vol) a lieu le premier embarquement avec parachute sur le dos. C’est le vol dit d’accoutumance. Le pilote, l’adjudant Cugnot, fait ce qu’il veut avec son appareil et nous donne des sensations fortes. Comme la « DZ » est à côté de la piste d’envol en plaques perforées métalliques, son grand plaisir est de larguer «la charrette» et d’atterrir avant que le dernier para n’ait touché le sol. On raconte même qu’un jour il aurait fait un looping avec ce brave JU 52.

Le lendemain, c’est la minute de vérité. « En position. GO ». Heureux de voir le « pépin » ouvert au-dessus de sa tête et de tirer sur les suspentes pour le roulé-boulé. Au deuxième saut le lieutenant Philippon, qui a la responsabilité de notre formation, se rend compte que les sorties en grappe ne sont pas très orthodoxes. Après enquête nos « chaussettes à clous » sont mises en accusation. Les têtes bien lisses des dits clous sont de vrais patins à glace et il est difficile de garder son équilibre sur les plaques d’aluminium de la carlingue. Dès que le « GO » est donné, impossible de se bloquer pour faire une belle sortie. Avantage : pas de refus de saut. Après un coup de téléphone à Tarbes, un GMC nous apporte les fameuses « bottes de saut » qui sont simplement les chaussures que portaient les « G.I. » américains pendant la dernière guerre. Ainsi, pour le troisième saut, nous pouvons nous faire photographier en vrais parachutistes.

Bien entendu le lieutenant-colonel Mengus vient assister le 12 avril à notre sixième saut, dit «de brevet». Selon son habitude, il ouvre la route en sautant en « SIKI ». Faisant partie du premier stick, peu de temps après, je touche la terre ferme à côté de lui : « Tu refuses le sol, mon garçon. Si tu continues, tu vas te casser le cul ». Heureusement ses prévisions ne se sont pas réalisées.

Après la remise officielle des brevets nous rentrons à Tarbes fiers comme Artaban. Désormais, l’épaule droite en avant, nous aurons cette démarche en crabe qui caractérise les anciens.

VI – EN BATTERIE

Est-ce que nous avons passé l’examen de fin de peloton avant ou après le stage de saut ? La logique voudrait que ce fut avant. Tous les commandants d’unité ont été mobilisés, ce qui nous permet de faire leur connaissance :

  • Le capitaine Faucher – BC – que nous connaissons bien, avec son éternel fume-cigarette à la bouche et le petit nœud fait avec les rubans raccourcis de son béret. C’est un amoureux de la manœuvre à pied,
  • Le capitaine Coulloume-Labarthe – B1 – futur général de corps d’armée, inspecteur de l’artillerie. A lui l’armement,
  • Le capitaine Buttner – B2 – terminera également général de corps d’armée, patron de la Direction Technique des Armes et de l’Instruction (DTAI). Il nous interroge en topographie,
  • Le capitaine Toulouse – B3 – notre premier commandant de batterie, nous fera souffrir en artillerie,
  • Le capitaine X (Clairfond peut-être?) – BAA, se replongera dans les différents règlements : service intérieur et garnison, discipline générale,
  • Le capitaine Victorien – BAC – organisation du terrain et manœuvre de force. Sa particularité, faire balayer les escaliers de bas en haut pour éviter la poussière. La BAC sera dissoute peu de temps après.

Lors de la répartition des élèves gradés, la BC absorbe la majorité d’entre nous. Il faut prévoir le remplacement des 47/1 dans les différents services du Major, le capitaine Izaac et la relève du détachement du camp d’Astra, près de Pau, aux ordres du commandant Thollot.

Donc, affecté définitivement à la BC avec le gros de la troupe, je me retrouve brigadier-chef de chambre, sans occupation bien précise. Mon chef de pièce, le maréchal des logis Yziquel, n’a pas tellement confiance dans le « jeunot » que je suis et se méfie des réactions de l’adjudant de batterie, l’adjudant Ribowseck. Étant disponible, celui-ci m’utilise à toutes les sauces comme, par exemple, installer un poêle dans la chambre de l’adjudant-chef Tolza. Les tuyaux ne sont pas adaptés et le montage à la Dubout amuse le locataire.

Après cinq mois passés au régiment, j’obtiens enfin une permission dite de détente. La batterie a perçu la nouvelle tenue de saut. J’ose aborder le maréchal des logis major Bianchi, notre chef comptable, pour lui demander le prêt d’une tenue avec une paire de bottes. Le maréchal des logis major Bianchi nous intimide avec son air sérieux et sa prestance. Il a toute la confiance du capitaine qu’il alimente en cigarettes au-delà de la ration réglementaire.

Permission et autorisation spéciale en poche, en route pour la Normandie. Je profite du lundi, jour de marché, pour m’habiller en vrai parachutiste. Par hasard je rencontre le chef de bataillon François. Deux bérets bleus font vite connaissance. La foule nous regardait avec des yeux ronds et pouvait complimenter l’armée française.

De retour à Tarbes, reprise du train-train habituel en attendant l’arrivée des 48/1.

Ma grande distraction est d’accompagner le capitaine Faucher, avec le titre ronflant de brigadier de tir. Arrêt sur image pour parler de cette figure légendaire qui a animé le régiment jusqu’à son départ en Indochine.

Allergique aux cheveux longs, malheur à celui qui se présentait avec une toison trop abondante. Un coup de la tondeuse sortie d’un tiroir et le coupable n’avait plus qu’une seule ressource, aller chez le coiffeur pour essayer de réparer les dégâts.

Lors des séances de maniement d’armes, son taux d’adrénaline montait au fur et à mesure qu’il s’éloignait du front des troupes. Cela se traduisait par une voix de plus en plus aiguë. C’est sans doute pour cela qu’il était surnommé « ZIZI ».

Le conducteur de sa Jeep ou de son command-car n’était là que pour copie conforme. Prenant lui-même le volant, il dépassait largement la vitesse limite autorisée. Un jour, sur la route de Tarbes à Pau, dans la grande ligne droite, un civil ne veut pas se laisser doubler. Qu’à cela ne tienne. Arrivé en bas de la côte de Ger, au lieu de suivre le tracé normal en lacets, à nous le petit chemin de terre, bordé de poteaux téléphoniques, qui rejoint directement le sommet de la dite côte. Arrivé bien sûr le premier, il stoppe son véhicule sur le bas-côté et assis sur le capot salue d’un air narquois l’automobiliste récalcitrant tout surpris de le voir à cet endroit.

Lorsqu’il rentre au quartier, le planton doit immédiatement lever la barrière. Pour palier tout accident le capitaine Hérault, officier adjoint du chef de corps, sort une note de service indiquant qu’il faut marquer le stop à l’entrée et circuler au pas dans la cour. Qu’à cela ne tienne mon « Zizi » passe la première crabotée démultipliée, descend de la jeep et marche à côté du véhicule.

Quand il y a les écoles à feu au camp de Ger, nous prenons le command-car équipé d’un poste SCR 608. Sur les pistes bien empierrées tout va bien. Par contre, à l’apparition des nids de poule, c’est la catastrophe. Nous nous cramponnons aux arceaux et le poste radio arrive à l’observatoire tout déréglé. Le brigadier-chef spécialiste ne peut plus avoir la liaison.

Je suis aux premières loges pour assister aux tirs. Ce sont les jeunes officiers qui planchent, c’est le cas de le dire. A cette époque tous les éléments sont calculés par le tireur à l’aide de sa carte, d’un double décimètre, d’un rapporteur et de la table de tir. A ce petit jeu, le sous-lieutenant Ledonche dit « Robic », en raison de ses origines et de sa taille, est un champion. Il n’est pas rare que ses premiers coups touchent l’objectif. Il n’ose pas annoncer « au but » et se fait rappeler à l’ordre. Chacun sait qu’un coup au but est synonyme de tournée générale.

Les conditions de sécurité étant réduites au minimum, l’observation dite «axiale» est très recherchée. Lorsque les premiers obus sifflent au-dessus de votre tête, c’est très impressionnant.

Voici enfin la classe 48/1. Avec deux ou trois autres camarades, nous allons jouer les « Amat ».

Notre chef de section est l’adjudant-chef Blondet. Ce n’est pas un tendre. Avec les adjudants-chefs Bureau et Bontemps ils formaient un trio célèbre, en Allemagne, baptisé les 3 B.

L’accueil des recrues s’est nettement amélioré. Adieu les vieux châlits en bois. Le cycle d’incorporation n’est plus agrémenté de travaux collectifs. Nous passons directement à l’instruction dès qu’une équipe est prête. La majorité cette fois est constituée de gars du Nord, des « Chti-Mi » très sympathiques et disciplinés. Seul ennui, leur accent particulier. Certains sont difficiles à comprendre lorsqu’ils parlent leur patois. A tour de rôle ils font mon lit. Cette corvée les amuse tellement qu’il y a toujours des volontaires.
Un jour le capitaine Faucher me demande : « Est-ce que tu fais ton lit ? »
« Non, mon capitaine » ,
— « Est-ce que tu cires tes chaussures ? »
— « Oui, mon capitaine »
— « Tu es un con. Jeune brigadier je le faisais faire par des engagés ayant dix ans de service ».

Inutile de parler de l’instruction proprement dite. Notre chef a dû être satisfait de nos prestations puisque le 1er juin (livret individuel) avec mon camarade Jean-Noël Trellu nous quittons notre chambrée pour occuper une chambre de sous-officier. Autre privilège, nous avons droit au mess où je côtoie maintenant tous les anciens chefs de pièce du peloton sans arriver à les tutoyer. Selon les « us » cette promotion s’arrose. « Un blanc d’adjudant », commande l’adjudant Desrich de la B 3. Cela signifie un verre à bière, le classique demi, rempli de Jurançon.

Fin juin, début juillet nous partons faire un séjour en montagne dans les Pyrénées près du lac d’Artouste. Une grande partie du régiment est là. Les batteries font des reconnaissances le long de la frontière et les Espagnols suivent les mouvements à la jumelle.

L’apothéose est la grande soirée où nous sommes tous rassemblés autour d’un grand feu de camp. Chacun y va de sa chanson ou d’une histoire plus ou moins salée. Mon équipe de «CHTI-MI» nous gratifie bien sûr du « P’TIT QUINQUIN » en version originale.

Le 14 juillet est l’occasion rêvée pour remettre la fourragère aux 48/1 et pour le maréchal des logis-chef Chapelle de monter sur une table du mess afin d’imiter le lieutenant-colonel Mengus faisant son laïus. Toute l’assistance se tord de rire d’autant plus que le repas est bien arrosé.

Le lendemain, à la BC on ne rit plus. Pour la prise d’armes nous avions été dotés d’un poignard tout neuf. A la réintégration lorsque le fourrier a fait ses comptes il en manquait à l’appel. Branle-bas de combat pour retrouver les coupables. Deux de mes anciens condisciples du peloton, Letourneux et Chantegreil, comprennent leur douleur : cassés – boule à zéro, taule avec pompes.

Peu de temps après, l’adjudant Ribowseck s’aperçoit que les portes des chambres sont pleines de trous. Le fourrier de son côté constate que quelques poignards n’ont plus de pointe. Devinez ce qui s’est passé? Cette fois seuls les chefs de chambre trinquent.

VII – LA GRANDE MANOEUVRE

Tout le régiment se prépare pour le départ en vacances au camp de La Courtine. Les batteries consacrent leur temps à former les pelotons de pièce. A la BC il faut surtout des chauffeurs et des radios. Pour l’encadrement j’hérite du groupe chauffeurs, ce qui me permet de prendre des leçons de conduite sous la houlette du maréchal des logis Holzer, le sous-officier auto. Il profite de sa supériorité technique pour souligner toutes mes erreurs. Au bout d’un mois, environ nous subissons les épreuves du permis de conduire qui se réduisent, pour la Jeep, à un aller et retour dans le quartier entre les garages et la porte d’entrée. Nous n’avons même pas le temps de passer la troisième, mais nous ferons faire de belles photos d’art au studio ALPY, place de Verdun à coté de l’entrée de la Société Générale d’aujourd’hui).

Le jour du grand départ approche. Les équipes sont formées. Avec Trellu nous sommes affectés l’un à l’équipe du lieutenant Lassort, le détachement avancé de reconnaissance (DAR), l’autre à celle du lieutenant Loigerot l’observateur d’ensemble. Nous constituons l’avant-garde ou, en terme plus précis, le détachement précurseur, ce qui nous permet d’arriver les premiers dans les villes-étapes et d’échapper aux règles du convoi.

Selon la réglementation en vigueur, les officiers logent chez l’habitant et mon rôle consiste à reconnaître les chambres à l’aide du billet de logement attribué par la mairie. Nos concitoyens, en général, n’aiment pas accueillir des étrangers. Dans la plupart des cas ils proposent des chambres de bonnes sans eau courante. C’est ce qui est arrivé au commandant Bouyneau qui s’est retrouvé à l’hôtel.

Le morceau de bravoure pendant l’étape est le défilé. Deux heures après notre arrivée tout le régiment est en tenue de sortie et en armes dans les rues de la ville. Le maréchal des logis Delaporte et sa clique ouvrent la route au son du seul morceau qu’ils connaissent parfaitement. Le point final est la cérémonie au monument aux morts à laquelle assistent les autorités civiles.
« Mon colonel, qui est-ce qui paie la gerbe ? »
— Réponse immédiate : « C’est vous, monsieur le maire ».

Le lendemain nous reprenons la route après une nuit passée sur la paille dans les écoles ou les salles des fêtes qui nous servent de cantonnement. Grâce à l’efficacité du lieutenant Noemi et de son équipe de l’atelier régimentaire, des chiens de garde, en l’occurrence les «motards» chevauchant les petites motos « airborne » perçues il y a quelques mois, le régiment arrive sans ennuis majeurs au camp pour y séjourner pendant un mois.

Comme à Ger, ma fonction me permet d’assister en bonne position aux écoles à feu. Mon rôle essentiel consiste à installer la binoculaire et la planchette qui permettent au lieutenant Loigerot de faire de magnifiques croquis panoramiques. Une certaine angoisse règne à l’observatoire lorsqu’on entend une explosion dans le lointain. Si les gendarmes ne se présentent pas au camp, c’est que l’obus est tombé dans le champ de tir.

Bien entendu il n’y a pas que les écoles à feu. Nous profitons des installations pour tirer aux armes individuelles et au FM 24/29. Les terrains militaires permettent de faire des exercices dit de service en campagne. Premier travail : creuser « les feuillées ». Parmi toutes ces activités, internes au régiment, deux temps forts. D’abord le saut et les tirs effectués devant les élèves officiers de la promotion Général Leclerc. Pour le saut nous partons « aux aurores » pour embarquer à l’aérodrome le plus proche à Clermont-Ferrand. Pendant le vol, nous avons le temps de méditer avant de voir la DZ des Fagettes. Ensuite la prise d’armes présidée par le général de Lattre de Tassigny. Tous les régiments en manœuvre ainsi que l’ESMIA de Coëtquidan sont rassemblés sur un terre-plein aménagé en place d’armes. A l’arrivée du général, le patron de l’ESMIA commande : « Présentez armes », pour l’ensemble des troupes. Vu l’allure du grand chef qui fixe chaque individu avec son œil d’aigle, la revue risque d’être assez longue. Notre colonel n’hésite pas un instant : « Reposez armes », pour le régiment. Inutile de fatiguer les garçons et puis c’est l’occasion rêvée pour faire une démonstration de maniement d’armes à cadence lente, de Lattre adore : « Le 35 est le plus beau régiment de France ».

Pour défiler, sur un terrain difficile, le maréchal-des-logis Delaporte est mis à contribution. Félicitations et poignée de main à notre chef trompette. Depuis ce jour, sa main droite est restée enfoncée dans sa poche. Plus question de se moquer des « couacs ».

Bien que les distractions ne soient pas très nombreuses, nous bénéficions de quelques moments de détente. Jamais je n’ai vu autant de girolles. Grâce au gérant du mess nous avons dégusté de délicieuses omelettes aux champignons.

Comme toujours il y a une équipe de gais lurons qui veut faire des virées nocturnes mais celles-ci ne sont pas autorisées. Le pot aux roses fut découvert par le toubib qui s’est aperçu que son ambulance avait un kilométrage qui ne correspondait pas au trajet camp/hôpital. Vous m’avez compris, pour sortir du parc à véhicules rien ne vaut une belle croix rouge.

Les vacances sont terminées. Il faut songer au retour. Les véhicules sont nettoyés sommairement et en route. Cette fois la grande étape est prévue à Brive la Gaillarde. Elle va durer du samedi au lundi matin. Pour les relations publiques, on peut dire que le lieutenant-colonel Mengus est un précurseur. Cette fois en plus du défilé et de la cérémonie au monument aux morts, nous avons droit aux bals populaires. Le dimanche est consacré à la récupération des fatigues de la veille, quartier libre. A midi, la municipalité nous a offert le repas qui nous change de la roulante ou de la cuisine du camp. A ma connaissance, tous les personnels du 35 se sont bien comportés, mis à part quelques coups de poing distribués à cause d’une cavalière prise entre deux feux.

Le lundi matin, direction Tarbes. Pas de mini-étape. Les GMC sont bien rodés, les chauffeurs aussi. La nuit commence à tomber quand nous franchissons les grilles de notre vieux quartier Larrey.

VIII – LES CENTS JOURS

La principale occupation consiste à remettre en état le matériel qui a quand même un peu souffert. A la BC les véhicules, les postes radios et les câbles téléphoniques constituent le gros morceau à avaler. Théoriquement il n’y a pas de canon mais, depuis la dissolution de la BAC, la batterie a hérité des « 57 » anti-chars. Le maréchal des logis Rouillère en est responsable. Lorsqu’il demande du renfort en personnel, l’adjudant Ribowseck lui fait cadeau de deux manoeuvres : Trellu et ma Pomme. Nous n’apprécions pas et notre ardeur au travail s’en ressent, en particulier lorsqu’il s’agit de passer l’écouvillon dans les tubes. Notre collègue nous encourage d’un : « Poussez, fainéants » qui en dit long sur ses sentiments à notre égard.

La garde et les servitudes de garnison sont par la suite nos activités principales. L’adjudant-chef Malboeuf supervise le poste de police et nous tient à l’oeil pour la présentation au chef de corps à son arrivée le matin. Le chauffeur, sans doute Guillaume, fait des appels de phares pour nous prévenir. « A la garde », crie la sentinelle sous les armes. N’ayant jamais eu de contacts avec le lieutenant-colonel Mengus, en dehors du stage de saut, je suis tout surpris lorsqu’il m’appelle par mon nom. Il doit y avoir une combine là-dessous.

Autre point névralgique, le dépôt de munitions dans l’enceinte de l’arsenal. Il y a bien des gardiens civils mais ce n’est pas suffisant. La grosse distraction est de faire des frites sur le poêle qui sert au chauffage mais surtout à réchauffer les plats qui nous arrivent froids.

Les samedis et dimanches soirs c’est la fameuse patrouille en ville qui nous a tant fait peur lorsque nous faisions nos classes. Le bureau de garnison nous fournit l’itinéraire à respecter et les horaires de passage devant les trois cinémas et la gare. Pas question d’aller du côté des bals pour éviter les incidents. Quand aux cinémas, il fallait surveiller les entr-actes et la sortie. Le plus sympathique était « Le Caton » non loin de la grande halle Marcadieu. A l’abri sous les platanes nous attendions une hypothétique sortie. Les horaires étaient si bien calculés que nous étions toujours en retard. Même scénario pour les trains. De temps en temps un officier venait contrôler notre présence dans les rues de Tarbes. Quelques années plus tard le chef de patrouille avait le grade de sous-lieutenant et le scénario n’avait pas changé. C’est ce que l’on a appelé la revalorisation de la fonction militaire.
Le 35 était un régiment très sportif. Il participait à tous les championnats militaires. Son point fort était le rugby, grâce aux joueurs du « Stado », heureux d’être incorporés sur place, ce qui leur permettait de jouer le dimanche en championnat de France.

Pour les amateurs dans mon genre, il y avait les matchs de volley baIl entre officiers et sous-officiers sur le terrain installé devant la BC.

Le temps passe relativement vite jusqu’au jour où, branle-bas de combat, un détachement doit partir dans le Nord. Ironie du destin, la classe 47/2 est arrivée à Tarbes avec la grève des cheminots, elle en repartira après celle des mineurs. Le commandant Bouyneau prend le commandement d’un groupe hétéroclite dont le noyau dur est constitué par la B1 aux ordres du capitaine Coulloume-Labarthe avec comme adjoint le lieutenant Miche de Malleray. Le voyage dans les wagons « chevaux 8 — hommes 40 » est assez long. Nous faisons des haltes prolongées sur les voies de garage. Enfin voici Douai avec la Fosse Gayant, notre cantonnement.

Nous n’intervenons pas lors des manifestations de grévistes. Les CRS s’en chargent. Notre mission consiste à protéger les quelques mineurs qui assurent l’entretien et à faire quelques patrouilles de sécurité la nuit. Nous sommes dotés de munitions pour les PM 38. Un imprudent a laissé traîner son arme munie du chargeur sur mon lit. J’ai bien failli trucider Rouillère en voulant démontrer que n’importe qui pouvait lâcher une rafale.

Bien entendu, nous n’avons pas le droit de sortir en ville. Les fêtards que sont les maréchaux des logis-chef Jouan et Salmon ont trouvé un moyen pour contourner l’obstacle. Armés et casqués une demi-douzaine de sous-officiers passent devant le poste de police au pas cadencé : « Patrouille en ville », déclare le chef.

La grosse distraction est le téléphone. Il y en a partout. Les blagues fusent. Le commandant Bouyneau nous raconte sa mésaventure. Son correspondant lui tient un discours incohérent.
Réaction : « quel est le con qui est au bout du fil ? »
Réponse : « à quel bout, mon commandant ? »

Des visites de la mine sont organisées. Par groupe de deux ou trois nous descendons au fond conduit par un chef porion. Par endroit le mineur a juste la place de s’allonger pour manier son pic. Dans l’Est ce travail est moins pénible.

Pour impressionner la population, nous avons droit à quelques séances de maniement d’armes. Même devant le général de Lattre nous n’avons pas aussi bien manœuvré.

La Sainte Barbe, fête des artilleurs et des mineurs, approche. Le travail a repris. Nous sentons que la fin de notre séjour est pour bientôt car nous sommes autorisés à fraterniser avec la population dans les différents bistros. C’est à qui paiera sa « bistouille ».

Réembarquement à la gare de Douai. Les wagons sont toujours les mêmes et les arrêts aussi longs et fréquents. Qu’importe, nous sommes heureux car bientôt nous allons revoir Tarbes.

ÉPILOGUE

Le 21 décembre 1948 (dixit le livret individuel) la 47/2 est libérée officiellement de ses obligations militaires. L’intermède de la grève des mineurs lui a valu un petit « RAB ».

Quelle leçon pouvons-nous tirer de cette année passée au 35e RALP ?

Les avis sont sûrement divers et variés. En tout état de cause, 45 ans après, quelques-uns d’entre nous se sont retrouvés avec joie le 12 septembre 1992 au château de Chambray près de Gouville dans l’Eure, pour une « fiesta » magnifiquement organisée par le brigadier Guy Angenard et son épouse.

Le sous-lieutenant Creux, le maréchal des logis major Bianchi, le maréchal des logis chef Bridel, les maréchaux des logis Dauverchain, Dervaux, Rouillère n’avaient pas hésité à se joindre à eux. Ces retrouvailles attestent, s’il en était besoin, que les anciens du 35 forment une grande famille.

19e promotion de saut du 35e RALP.
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